Rompre avec le système chrétien des signes, ce n'est pas nécessairement rompre avec certaines questions posées sous ce système. C'est au contraire se montrer solidaire de l'expérience de Jésus en ce qu'elle a pour nous de permanent.

Ainsi à propos du pain et du vin "eucharistiques".

C'est parce qu'ils sont et resten du pain et du vin que par eux l'Autre peut nous faire signe et que de notre côté nous pouvons nous tourner vers lui.

Des hommes en effet peuvent aujourd'hui encore se réunir dans la mémoire de cet homme dont la vie et la mort demeuren hautement significatives. La vie et la mort d'un prince et d'un pauvre à la recherche extrême de l'amour de l'Autre et de l'amour d'autrui.

Autour d'une table, à l'issue d'un repas, ils peuvent refaire les gestes qu'il a fait: prendre du pain, le rompre, le partager, boire à la même coupe, et par ces gestes rendre grâces à l'Amour.

Ce n'est pas un acte de représentation rétrospective, mais un acte de présence-ensemble, un ici et maintenant qui im plique la décision renouvelée de chercher, sans se payer de mots, à aimer un peu moins mal l'Autre et autrui dans la mort au moi égocentrique -et qui sait?- dans le don de la vie physique.

Parce qu'ils sont et resten du pain et du vin matériels, ils nous rappellent immédiatement que la fraternité n'est que mensonge, si elle ne combat quotidiennement pour un monde où les notions de liberté et d'égalitté cessent un peu d'être de pures idéologies, d'est-à-dire des alibis.

Georges Morel
Questions d'homme:
Jésus dans la théorie chrétienne
P. 216
Ed. Aubier (1977)